Mamadou Sanoussy Bâ |
Le premier sujet des épreuves
anticipées de Philosophie pour les séries L est : « L’objectivité
n’est-elle qu’un idéal ? ». Qu’est-ce qu’on attend du candidat avec
ce sujet ?
On pose à l’élève une
question : l’objectivité n’est-elle qu’un idéal ? C’est-à-dire, on
lui demande de réfléchir sur une dimension de la science de façon générale.
Comme j’ai l’habitude de l’enseigner aux élèves, toutes les caractéristiques du
mot science, moi je les résume dans le mot amour. A comme activité, M comme
méthodologie, O comme objectivité, U comme universalité et R comme rationalité.
Alors, si je leur demande de réfléchir sur l’objectivité, il y a deux choses
auxquelles l’élève doit penser.
D’abord,
dans une sorte de thèse. Il doit montrer que la science, ce n’est pas une religion.
Elle n’est pas la Bible, ni le Coran. Cela veut dire que contrairement à une
idée largement partagée, les vérités scientifiques ne sont pas forcément
canoniques. Je veux dire qu’elles ne sont pas forcément uniques, universelles
et définitives. Les vérités scientifiques, comme l’ont montré beaucoup de
penseurs comme Karl Popper, Souleymane Bachir Diagne, Mame Moussé Diagne et
d’autres, sont des vérités qui, avec le temps et l’espace, peuvent être remises
en cause. Des vérités qui peuvent être rejetées ou à la limite rectifiées. Ça
l’élève doit en parler dans une thèse.
Mais
dans une sorte d’antithèse aussi, il doit montrer que contrairement à la
Philosophie, l’objectivité scientifique n’est pas un idéal, mais c’est une
réalité. Parce qu’il y a de grandes vérités qui sont établies aujourd’hui par
la science de façon objective. Cela veut dire que le scientifique est capable,
contrairement à la subjectivité philosophique, de prendre une distance par
rapport à son objet qu’il étudie. Et justement de proposer un savoir qui est,
comme le dit André Lalande, une conclusion concordante et partagée par tous les
spécialistes, quels que soient leurs milieux. C’est ça qu’on attend de l’élève.
Il doit interroger la notion d’objectivité. Montrer ses limites dans la science,
parce qu’elle est une œuvre humaine. Montrer en même temps que l’objectivité
est possible, parce que la science vérifie et réussit des vérités universelles.
Et le sujet 2 : « Peut-on dire de l’art qu’il dépasse la
raison ? »
L’art
et l’esthétique, c’est la dernière partie du programme. Voilà le problème qui
est posé. Parce que, de manière générale, on apprend aux élèves que l’art est
une activité qui vise le beau. Alors en tant qu’activité humaine, il y a un
débat au niveau de la Philosophie. Cela veut dire que l’élève doit d’abord
comprendre que le problème qui se pose est le suivant : quelle est la
nature de l’art ? Quel est l’orientation qu’il faut donner au beau ?
Est-ce qu’il doit être un déploiement rationnel ? Est-ce que l’homme doit
par sa raison produire des œuvres d’art qu’il peut partager avec l’ensemble de
l’humanité ? Ou bien l’art est une sorte d’aventure comme en religion ou
en métaphysique.
C’est
le cœur qui comprend la réalité et la transmet dans une chanson, dans une
peinture etc. L’élève doit comprendre que c’est un sujet dialectique.
Avec des arguments solides, il doit montrer, d’une part, qu’il y a une
démarche rationnelle dans le travail de l’artiste qui qu’il soit. Je ne peux
pas parler de sentiment, mais de sensibilité cordiale. Quand on fait de l’art,
toute la dimension de notre humanité, toutes nos facultés, la raison, la foi
sont interrogées. D’une part, l’art ne peut pas dépasser la raison, car il y a
des artistes qui, au nom de la raison, ont produit des choses qui restent
immortelles. Il y a aussi des artistes qui ont ouvert leur cœur pour exprimer
une certaine réalité.
Est-ce que, dans l’ensemble, les sujets sont abordables ?
A
mon avis, les sujets sont difficiles. Il faut que les gens sachent une
chose : le problème de la philosophie n’est pas lié à l’enseignement de la
matière elle-même. C’est lié au problème de l’instrument de la langue. Aucun
sujet ne peut être abordable devant un élève qui a un niveau extrêmement
faible. C’est comme si vous prenez un journaliste ou n’importe quel individu
qui n’a pas fait une formation et qui a un niveau de langue très faible et vous
lui demandez de produire un article. Il ne peut pas le faire. Moi, je l’ai dit,
il y a quelques jours.
Quand
la langue française est enrhumée, toutes les autres matières toussent. Il n’y a
pas de sujets abordables, aujourd’hui. Car, justement les élèves sont devenus
des marchands de fautes et des commerçants d’impression. Ils ignorent les
règles les plus élémentaires. Ils ne savent pas accorder les adjectifs
qualificatifs. Ils ne peuvent pas écrire les mots les plus simples. Comment
voulez-vous qu’on réfléchisse en Philosophie dans une langue que vous
massacrez. C’est ça le problème qu’il faut poser.
Le
niveau des élèves en Philosophie, de manière générale, est très mauvais. Il va
devenir exécrable. La raison est qu’on commence la Philo en Terminale.
Deuxièmement, c’est le problème de la langue. Il y a des stagiaires qu’on nous
envoie qui vont devenir professeurs de Philo dans deux ou trois ans. Quand ils viennent
en classe, ils craquent. Ils ne sont pas respectés par les élèves, car ils ne
parlent pas correctement le français.
A ce problème précis, quelle
serait donc la solution ?
La
solution tout le monde le sait. C’est un problème de système. Les spécialistes
le savent. Il faut retourner à la pureté de la langue. Par exemple, les
professeurs de français demandent qu’on réintègre l’étude de la Grammaire et la
Conjugaison au lycée. Quand des élèves de Terminale ne savent plus conjuguer un
verbe au présent de l’indicatif, il est normal qu’on retourne à l’école, avec
la Conjugaison. Il faut repenser le système et arrêter de penser que
l’enseignement c’est avoir cette psychologie de robot. C’est-à-dire qu’il
faille former des ingénieurs, des aristocrates, etc. L’école, c’est une langue.
Il faut faire de telle sorte qu’ils ne puissent pas passer en classe supérieure
avec un mauvais niveau de langue. Il faut être exigeant avec la langue, à mon
avis.
Abdourahim Barry
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