vendredi 18 mars 2016

PRESSE: Le constat alarmant du président du Cedps

Les entreprises de presse au Sénégal ne sont pas toutes viables économiquement, selon Mamadou Ibra Kane. L’administrateur du groupe Africome estime que la majorité d’entre elles sont confrontées à un problème de management et le traitement des journalistes reste à désirer.  
 Les patrons de presse ne sont pas des exemples, en matière de traitement des employés. C’est le constat de Mamadou Ibra Kane, nouveau président du conseil des éditeurs et diffuseurs de presse du Sénégal (Cedps), par ailleurs administrateur du Groupe Africome. Invité du carrefour d’actualité organisé par le Centres d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) hier, sous le thème : «Entreprises de presse au Sénégal : difficultés et perspectives », il a soulevé beaucoup de problèmes. En plus de ne pas apprécier le traitement des journalistes dans les médias. Selon lui, l’une des premières menaces qui pèsent sur les entreprises de presse est le mauvais traitement du personnel des médias.
« Certaines entreprises de presse se donnent beaucoup de libertés pour ne pas respecter leurs obligations. Elles ne payent pratiquement pas les journalistes. Ces derniers n’ont aucun plan de carrière, ni une sécurité sociale, encore moins une cotisation de retraite. Il y a un grand organe dans ce pays qui, depuis des années, ne paye pas de salaires », a dénoncé le patron du Journal Stade devant les journalistes en herbe. Cette précarité, a-t-il ajouté, ouvre la voie à toutes les dérives qui menacent le métier de journaliste.
Interpellé sur la menace internet sur la presse écrite, il a soutenu, contrairement à beaucoup d’analystes, que c’est plutôt une chance. Pour lui, le journalisme existera toujours, même si c’est sur un autre support. Parmi les problèmes évoqués par M. Kane figure en grande partie le management des entreprises de presse. « Nous avons toujours eu de bons journalistes dans ce pays, mais pas de bons manageurs. Etre un bon journaliste ne veut pas dire être un bon manager », a-t-il rappelé. Le chef d’entreprise a aussi pointé du doigt l’Etat.
A son avis, ce dernier manque de politique pour soutenir la presse. A en croire M. Kane, en France par exemple, de la même manière que l’Etat subventionne la presse publique, il le fait aussi pour le privé. A ceux qui soutiennent que l’aide à la presse, dans notre pays, joue ce même rôle, il rétorque qu’il est contre cette somme donnée chaque année aux patrons des médias. « Moi, depuis des années, je milite pour la suppression de l’aide à la presse qui est distribuée de manière politique. Elle est gérée par le ministre de la Communication qui distribue, selon sa volonté », a-t-il regretté.
Son co-débatteur, le directeur général du quotidien national le Soleil, Cheikh Thiam, par ailleurs secrétaire du Cedps, a abondé dans le même sens. Comme M. Kane, il estime que la viabilité économique des entreprises de presse pose problème. Selon lui, il faut aujourd’hui réinventer le modèle économique. « Avec la montée en puissance de l’Internet qui est devenu un concurrent très sérieux, il faut s’adapter ou périr », a dit Cheikh Thiam aux futurs journalistes. Malgré les difficultés, les débatteurs ont estimé que notre presse a beaucoup de mérite. Comparé à beaucoup de pays en Afrique, notamment ceux francophones, le Sénégal occupe une place enviable.
Sur un autre volet, Mamadou Ibra Kane a affirmé qu’il y a des lobbies qui tentent d’infiltrer la presse. Mais malgré cette tentative, selon lui, elle reste républicaine et joue un rôle social très important. « La presse sénégalaise est le premier tirage en Afrique de l’ouest francophone. Donc, d’une manière globale, les médias doivent être appréciés positivement », a conclu le président du Cedps.        
                                                                                                                 Abdourahim Barry 

mardi 1 mars 2016

240EME ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION DU FOUTA: Les Sénégalais invités à s’inscrire à l’école de Thierno Souleymane Baal

Peu connue des Sénégalais, la révolution du Fouta fut comparable à celles qui se sont déroulées en Europe et aux États-Unis au 18ème siècle. Les historiens invitent aujourd’hui les populations à revisiter ce patrimoine immense de notre histoire pour une meilleure gouvernance.
 En citant les révolutions qui ont eu lieu dans l’histoire humaine, on n’entend presque jamais citer celle du Fouta. Une révolution au Sénégal ? Oui ! Peu connue des Sénégalais, la révolution du Fouta Toro menée par Thierno Souleymane Baal est l’une des ‘’plus belles’’ que le monde ait connue. Dans un contexte de crise des valeurs démocratiques, plusieurs historiens sont unanimes pour dire que la démocratie a existé au Sénégal avant même les pays occidentaux. Lors de la cérémonie de commémoration des 240 ans de sa disparition, le mercredi passé à l’Ucad, les historiens sont revenus sur la vie et l’œuvre de cet homme de référence.
Selon le professeur Iba Der Thiam, Thierno Souleymane Baal est l’une des personnalités les plus emblématiques de notre histoire malheureusement très peu connue. Il soutient que la démocratie s’est installée dans notre pays avant la révolution française du 1789. ‘’Quand il instaurait la démocratie au Fouta, l’Europe était dans une guerre pitoyable et personnalisée’’, a rappelé le dirigeant du projet de la réécriture de l’histoire générale du Sénégal. Le professeur Thiam invite notre pays à faire de Thierno Souleymane Baal un porte-étendard pour montrer aux autres que la démocratie a existé en Afrique bien avant.
Qualifiant l’homme d’exceptionnel, l’ancien ministre de l’éducation demande à l’Etat  d’introduire dans les programmes scolaires l’histoire du fondateur du régime des Almaamiyats au Fouta. Mettant en place un régime théocratique fondé sur la démocratie et l’égalité, Thierno Souleymane Baal mit ainsi fin à la domination des Deynianké qui opprimaient le peuple foutanké. Selon Iba Der Thiam, dès sa victoire sur ses adversaires, le chef de guerre et religieux refusa d’exercer le pouvoir pour montrer l’exemple.
‘’Sa décision de ne pas exercer le pouvoir après la victoire est une leçon qu’il a donnée à toute l’humanité car au même moment, il y avait une lutte impitoyable pour le pouvoir en Europe. Dès 1776, il avait instauré une justice avec des possibilités de faire des recours si on n’était pas satisfait d’un jugement. Il a mis en place l’école gratuite bien avant Jules Ferry. Quand il dit que si vous élisez l’imam, contrôlez-le pour voir s’il ne s’est pas enrichi de façon illégale, il avait posé la question de l’enrichissement illicite’’, a-t-il expliqué devant un public venu très nombreux assister à la rencontre.
Très en verve, l’historien et  député à l’Assemblée nationale soutient que Thierno fut un modèle achevé de démocrate dont nos dirigeants actuels doivent s’inspirer. ‘’En décidant de s’attaquer à l’esclavage, il a posé un acte de grandeur nature. Il a rompu avec la royauté en changeant les institutions. Il a instauré la première République noire. Contrairement à ce qu’on dit, Haïti et la République Lébou ne sont pas les premières’’, a rappelé le professeur agrégé en histoire.
Organisé par le Groupe de recherche et d’études du patrimoine intellectuel sénégalais (Baa Joordo), la rencontre a enregistré la présence de plusieurs personnalités : politiques, étudiants et universitaires. Intervenant suite à la projection d’un film ‘’Sur les traces du leader du Fouta, Thierno Souleymane Baal’’, le professeur Ibrahima Thioub lui, a axé son propos sur les limites de la révolution Torodo. Tout en qualifiant cette dernière de l’une des plus merveilleuses que le monde ait connue, il estime qu’elle a été détournée de son objectif.
‘’Il était parti sur une utopie égalitaire. Mais l’une des limites est que le mouvement Torodo qui était un parti politique où tous les musulmans étaient égaux, est devenu une caste au-dessus de toutes les autres après la disparition du révolutionnaire’’, a expliqué le recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Une autre limite est, selon lui, le fait qu’après l’instauration de la démocratie au Fouta, les révolutionnaires n’aient pas pu exporter leur modèle partout dans le Sénégal. ‘’L’œuvre de Thierno Souleymane Baal s’inscrit dans la seconde moitié du 18èmesiècle. C’est le moment où la traite Atlantique a atteint son apogée. Le régime « Ceddo » des Deniankés et celui du Cayor étaient très impliqués dans la traite des esclaves. Au moment de la victoire en 1776, il y avait la révolution américaine et plus tard celle française de 1789’’, a dit l’historien pour dire que nous n’avons rien à envier aux autres.
Le président du Groupe Baa Joordo initiateur de la rencontre affirme que l’objectif est de montrer que l’Afrique n’a pas toujours été derrière. Elle a participé à la production du savoir et à l’invention. ‘’Nous voulons montrer que l’Afrique a compté dans le passé et comptera dans l’avenir’’, a conclu le professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis dans un concert d’applaudissements.
Recommandations de Thierno Souleymane Baal  
Thierno Souleymane Baal encourageait et parlait à son armée en ces termes : la victoire est dans la persévérance… Je ne sais pas si je sortirai de cette guerre vivant. Toutefois, je vous recommande, si je ne suis plus de ce monde :
1°) de rechercher, pour assumer la fonction d’Almaami, un homme désintéressé, qui ne mobilise les biens de ce monde ni pour sa personne ni pour ses proches ;
2°) si vous le voyez s’enrichir, démettez-le et confisquez les biens qu’il a acquis ;
3°) s’il refuse la démission, destituez-le par la force et bannissez-le ;
4°)   remplacez-le par un homme compétent quelle que soit sa lignée ;
 5°) veillez bien à ce que l’Almaamiyat ne soit jamais héréditaire ;
6°) n’intronisez qu’un méritant.                                                     
                                                                                                ABDOURAHIM BARRY