mardi 25 août 2015

Mamadou Dia revit dans le cœur des khombolois

Le premier chef de l’exécutif sénégalais reste populaire dans sa ville natale. Les khombolois lui témoignent une reconnaissance sans faille. Ils regrettent son court passage au pouvoir et réfutent les accusations de coup d’Etat contre lui en, 1962.
« Si Mamadou Dia n’avait pas été arrêté, Khombole serait aujourd’hui  l’une des villes les plus émergentes du Sénégal ». Ces propos de M. Dieng, délégué de quartier, montrent bien l’affection que les khombolois gardent toujours à l’égard de l’ancien président du Conseil et chef de l’exécutif de 1960 à 1962.  Personnalité politique de premier plan à l’indépendance, les habitants de khombole, surtout les vieux qui l’ont connu, regrettent son court passage à la tête du gouvernement. Malgré son mandat abrégé par les événements douloureux du 22 décembre 1962, toutes les infrastructures notamment routières datent de l’époque où il était au pouvoir. «Toutes les routes qui existent dans la commune ont été construites par lui. Elles remontent à 1963. Il nous a tout donné », ajoute M. Dieng.
A quelques centaines de mètres du marché se trouve la maison familiale du défunt président du Conseil. Rien ne montre que l’homme politique vivait ici. Elle ressemble à un lieu abandonné. Elle est constituée de deux bâtiments, l’un habité par des locataires et l’autre fermé. Elle garde son architecture initiale. Au milieu de la cour se trouve un manguier. Les occupants ne connaissent même pas qui était l’homme.
Derrière la cour, se dresse une maison ultra moderne. Elle est issue de la division de la grande maison familiale des Dia. Nièce et belle-fille de Mamadou Dia, Maty Souaré y vit avec sa famille. Elle est l’épouse du feu Ousmane Dia neveu de l’ancien ami et compagnon de Senghor. Dans son salon comprenant des équipements modernes, le voile sur la tête et un chapelet à la main, elle est en train de formuler ses prières en cette soirée du lundi premier mai 2015. Elle ne se rappelle pas les événements de 1962, car « j’étais très jeune », affirme-t-elle. Mais soutient-elle, « connaissant l’homme, il était incapable de faire du mal à quelqu’un. Il était véridique. Je pense que c’étaient des accusations sans fondement. Il n’a jamais fait un coup d’Etat», conclut, Maty.
Les khombolois ont du mal à croire que Mamadou Dia avait des intentions de renverser Senghor. Selon Macoumba Fall, enseignant et conseiller municipal, la crise de 1962 avait des soubassements politiques car il y avait une dualité au sommet de l’Etat.
Six ans après sa disparition, Mamadou Dia est perçu comme une personne  gentille et généreuse par ceux qui l’ont connu, au moins ici à Khombole. « Il est issu d’une bonne famille. Quand mon  père est venu ici, il habitait chez lui», raconte le vieux Moustapha Bâ, un voisin. « A l’époque nous étions en paix. Mais Khombole a beaucoup souffert des rivalités de Dia et Senghor», poursuit-il. Âgé de 89 ans, Bâ est un témoin de cette période. Avec sa voix à peine audible, il n’en veut pas à Senghor car selon lui, c’est Satan et la politique qui ont détruit cette amitié sincère qui existait entre les deux hommes d’Etat. «Senghor venait rendre visite à la famille sans Mamadou Dia», soutient Maty Souaré.
Si Khombole est dans cette situation de pauvreté c’est parce qu’elle « a été victime du dualisme entre Mamadou et Léopold», ajoute M. Dieng. Les routes datent de 1963. Depuis lors, il n’y a eu aucune nouvelle infrastructure et celles qui sont là n’ont jamais été réfectionnées. Malgré la courte durée de son pouvoir, les Khombolois estiment qu’il a réalisé plus que tous les gouvernements qui lui ont succédé.
                                                                                              Abdourahim BARRY
                                                                                                                       

            

lundi 3 août 2015

MODOU MBAYE DIOR: La force tranquille d’un patriarche

Plus de cent ans de vie. Il continue pourtant de se lever le matin et d’aller au travail. C’est un exemple de courage et de réussite pour la jeune génération qui peine à trouver un emploi.
   
«Le premier Toubab qui est venu s’installer  à Khombole  s’appelle Guimard». Ces propos témoignent de son ancienneté.  Quand on lui demande de raconter l’histoire de sa ville, Modou Mbaye Dior est très à l’aise pour le faire car c’est un témoin au moins des cent dernières années. Malgré ses 107 ans, il dit à qui veut l’entendre « nakha gouma » (je n’ai pas perdu mes facultés mentales). Il reconstitue les histoires avec précision en convoquant souvent les dates des événements.
En bon mouride, le travail est plus qu’un sacerdoce pour lui. Ce vieux à la longévité exceptionnelle, dans une société sénégalaise où l’espérance de vie est estimée à 50 ans, n’a jamais pensé à la retraite. Pour le rencontrer pendant la journée, il faut venir le trouver sur son lieu de travail. Il a exercé presque tous les métiers possibles, à Khombole. « Quand je suis arrivé ici en 1925, j’étais cultivateur. Ensuite je vendais de l’or et des tissus. J’ai été aussi boucher.  Je vends du bois de chauffe depuis 1970. J’ai  commencé avec cinq cent francs CFA», narre-t-il apparemment satisfait.
 Néanmoins, le natif de Thilla Ounté, village situé à 5 km de khombole perd de plus en plus son combat contre l’âge. Il est difficile aujourd’hui de saisir tout le sens de ses paroles car, parfois, on a du mal à comprendre ce qu’il dit. Son interlocuteur est obligé de crier pour se faire entendre puisque ses oreilles aussi sont en train de le lâcher. Ne lui souhaitez surtout pas longue vie. Il rétorque immédiatement, « moi j’ai déjà une longue vie car je suis né en 1908 et je suis là en train de vous parler».
Polygame, Modou Mbaye Dior avait quatre épouses. Les deux sont décédées, il ne lui reste que la première et la quatrième. «Je suis la seule en vie avec  la première. Cette dernière est très veille. Elle est à la maison», explique Mame Astou Mbaye la quatrième qui tient, elle aussi une table et vend divers objets à côté de son époux. Elle ne peut pas dire avec exactitude le nombre de leurs enfants. « Tout ce que je sais, c’est que nous en sommes à notre soixante-troisième année de mariage. Nous avons eu dix-sept enfants. Quatre sont décédés, il reste treize».
A la différence, de beaucoup de vieillards moins âgés que lui, Modou Mbaye Dior, ne s’appuie pas sur une canne pour marcher. Quand il parle, il ne regarde jamais son interlocuteur dans les yeux. Cela est peut être lié à son âge. Ses petits yeux se sont beaucoup rétrécis. Il les fixe sur une seule direction et on a du mal à voir à l’intérieur. Pourtant il voit normalement et identifie les personnes qu’il connait sans difficulté. Sur son lieu de travail situé  au bord de la route qui mène à Touba, il est assis sur une natte sous un arbre. Son chapelet à la main il passe toute la journée à demander pardon à son Seigneur.
En formulant des prières, les paroles du disciple mouride sont presque dominées par les « thi barke Serigne Touba ». Quoi de plus normal pour un fervent « talibé » (disciple) qui a vécu à l’époque du fondateur du mouridisme et a assisté à une de ses visites à Khombole. Pendant une discussion, ne lui coupez pas la parole pour poser une question ou demander un éclaircissement. Il menace alors de mettre fin à l’entretien. Entouré de quelques-uns de ses petits-fils, il s’entend mieux avec eux. Des regrets dans sa riche et belle carrière? Il n’en a pas, même s’il reconnait qu’«on ne peut pas vivre jusqu’à un certain âge sans jamais faire des choses regrettables ».
                                                                             Abdourahim BARRY