mardi 19 mai 2015

Entretien avec le journaliste politologue Mouhamed BARRO




MOUHAMADOU BARRO JOURNALISTE POLITISTE

« Aujourd’hui l’urgence c’est d’aller vers des réformes consolidantes des institutions de notre pays »
Mouhamed BARRO
Journaliste engagé, membre du bureau du Mouvement du 23 juin (M23) et analyste politique, Mouhamadou Barro est une des figures marquantes de la société civile sénégalaise. Porte-parole de la famille de Mamadou Diop tué lors des manifestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade en 2012, il dirige le réseau des journalistes pour l’information religieuse. Barro analyse la situation politique et économique du pays avec optimisme.

En tant que journaliste observateur. Quel est votre point de vue par rapport à la situation politique délétère de notre pays ?

La situation peut être analysée sous plusieurs angles. Le régime en place est issu d’une élection libre et démocratique. Le président Macky Sall a été élu. Ensuite une nouvelle assemblée nationale a été mise en place et les élections locales ont toutes été organisées dans le calme. Donc on peut dire que la situation politique s’est apaisée. Même s’il y a de l’autre côté des partis de l’opposition qui s’opposent et une société civile qui est dans une dynamique de contrôle citoyen. Mais malgré tout, nous pouvons dire que certaines situations perdurent par rapport à un besoin de réformes institutionnelles qui étaient un vœu des populations en 2012. Après le travail fait par la commission du doyen Amadou Makhtar Mbow un rapport a été déposé sur la table du président de la république. Aujourd’hui l’urgence c’est d’aller vers des réformes consolidantes des institutions pour qu’on ne parle plus de problèmes institutionnels dans notre pays.

Que répondriez-vous à ceux qui accusent la société civile de rejoindre le pouvoir et de se taire sur ses dérives ? 

Il faut dire qu’au Sénégal, la première difficulté qu’on a, c’est de définir qu’est ce que la société civile ? car pour moi elle ne peut pas être résumée à certaines personnalités. La société civile c’est l’ensemble des organisations qui peuvent être des associations de femmes, des ASC, des dahiras etc. Ces structures  sont à Dakar et surtout dans les autres localités du Sénégal. Mais malheureusement on résume tout à certaines grandes institutions de la société civile. Je dis aussi légitiment on ne peut pas reprocher à ceux-là qui étaient dans la société civile de rejoindre le président Macky Sall parce qu’ils sont libres et la loi le permet, donc ils ont pris une option que nous respectons. L’essentiel c’est qu’il y a d’autres qui  restent dans la société civile et continuent le contrôle citoyen.

Si vous devez faire le bilan à mi-parcours du président Sall que diriez-vous ? 

Je dirais qu’il est quand-même  sur le bon chemin malgré certains disfonctionnements liés à sa gestion et d’autres goulots d’étranglements qui viennent d’ailleurs ce qu’on ne dit pas souvent, parce qu’effectivement la plus grande responsabilité incombe au président de la république. Mais il faut dire qu’il y a une certaine résistance sur le plan social, culturel, de nos habitudes, dans la classe maraboutique et dans les associations. Voilà pourquoi les citoyens que nous sommes rechignent parfois à accompagner certaines réformes, ce qui fait que donc les Etats  ou les chefs d’Etats sont obligés de marcher au rythme de leurs populations. Donc il faut dire qu’il y a beaucoup de projets qui sont mis en place. Sur le plan de la bonne gouvernance, plusieurs efforts ont été faits. Mais il reste quand-même du chemin à faire sur le domaine institutionnel. On ne peut pas avoir deux poids deux mesures car la transhumance politique perdure.

Le président de la république vient de boucler une tournée d’une semaine en Casamance. Que pensez-vous de ce déplacement ?

Je crois que ça a été une innovation majeure, qu’un président puisse aller dans la région sud du pays trois fois de suite avec autant d’investissements sur le plan du développement. C’est des efforts à saluer parce que la Casamance et beaucoup  de régions à l’intérieur du pays ont trop souffert à cause de leur enclavement. Le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de moyens de transports depuis la disparition du bateau Le Joola, a causé beaucoup de tort à cette partie du Sénégal. Mais aujourd’hui nous avons les deux nouveaux bateaux qui permettront de faciliter le développement de la région. La construction du pont de Kolda aussi va rendre le transport fluide et assurer la continuité du territoire.

 

L’opposition dit que c’est un déplacement politique en perspective de l’élection présidentielle de 2017, le camp du pouvoir dit que c’est une tournée économique. Quelle est votre analyse ?

Je crois que les gens sont libres de faire leur analyse, mais aujourd’hui une tournée politique n’a pas forcément cette allure, parce que là ce sont des investissements structurants qui sont faits. Ce qui est visible c’est des bateaux, des routes, des ponts etc. Maintenant politiquement il faut dire que tout régime qui fait des investissements importants dans une région aura les bénéfices de certains avantages. Mais aussi si faire de la politique c’est investir dans des projets y a rien de mal à ça.    

 Que pensez-vous des conseils des ministres décentralisés initiés par Macky Sall depuis 2012 ?

 Je pense que la perception vient d’abord des populations qui accueillent les autorités. Parce qu’au-delà de l’accueil, les habitants de ces régions ont toujours vécu une certaine marginalisation, ils se sentaient oubliés par l’Etat car beaucoup de citoyens du Fouta, de Kédougou, de la Casamance en venant à Dakar disent : « nous allons au Sénégal ». C’est parce que pendant longtemps ils ont été marginalisés. Récemment à Kédougou j’ai vu à travers les médias qu’il n’y avait pas assez de matelas dans les hôtels. Les ministres ont passé la nuit dans des villas des personnalités de la région, cela va permettre à ces derniers de voir les conditions dans lesquelles ces populations vivent pour prendre des mesures de solution.

Depuis qu’on a commencé les conseils des ministres décentralisés on a promis beaucoup de milliards, mais concrètement qu’est qui a été fait?

Nous pouvons dire  qu’il y a un réel problème de communication dans ce que l’Etat fait. C’est-à-dire que ces genres de promesses de milliards, c’est des possibilités d’investissements, des projets des grandes firmes ou entreprises. Malheureusement ce n’est pas bien présenté et souvent les populations n’ont pas le même entendement. Ils vont penser que cet argent doit venir dès le départ du président et ils vont s’agiter. Mais je pense qu’il y a un effort à faire dans ce domaine pour que les populations puissent comprendre de quoi il s’agit.

Vous êtes aussi le porte-parole de la famille de Mamadou Diop tué lors des violences préélectorales de 2012. Où en est ce dossier sur le plan judiciaire?

 Il faut dire que le dossier a deux volets : un volet judiciaire et un volet civil. Sur le plan judiciaire après le troisième anniversaire, on a noté effectivement beaucoup de lenteurs par ce que le dossier a été géré de manière très lente. Aujourd’hui l’enquête a été bouclés nous (NDLR: membre de la famille de Mamadou Diop) avons été entendus récemment par le doyen des juges. Mais malheureusement il faut dire que cette affaire a pris beaucoup de retards. Trois ans après le décès tragique de Mamadou Diop, nous devons maintenant aller vers des poursuites judiciaires car nous sommes convaincus qu’il y a eu des responsables dans la chaine de commandement. On nous parle de deux policiers chauffeurs qui étaient dans le camion de la police arrêtés, ils sont peut-être des exécutants, il y a quand-même d’autres responsables dans la hiérarchie de la police qui doivent être entendus sur le dossier pour faire éclater la vérité et qu’on puisse faire notre deuil.

Selon vous, qu’est ce qui bloque le dossier ?

C’est d’abord un dossier qui est en instruction il faut le dire, ensuite c’est un dossier qui touche certaines sensibilités, des autorités de la police comme l’ancien commissaire de Dakar Harouna Sy, l’ancien ministre de l’intérieur Ousmane Ngom, les responsables de la police. Moi  je crois fermement c’est tout cela qui fait que le dossier n’avance pas. Malgré tout un Etat ne doit pas fonctionner comme ça, car la loi est générale et impersonnelle, qu’on soit policier ou citoyen simple, la justice doit être rendue.
                                                                Propos recueillis par Abdourahim Barry


* Cette interview a été réalisée au mois de février dernier

                                                                                                                                                                                                                

 

 

jeudi 7 mai 2015

L’HOPITAL TRADITIONNEL DE KEUR MASSAR


Une expérience qui a fait ses preuves

 
 
« L’hôpital traditionnel de Keur Massar se veut aujourd’hui comme tous les
Fabrication de médicaments
hôpitaux du monde ».  Fondé au début  pour traiter des lépreux et faire la recherche sur la médecine tropicale, il allie aujourd’hui tradition et modernité.
 

 
Reportage 
    Symbole de la modernisation de la médecine traditionnelle, il est unique au Sénégal. Sur les lieux on a l’impression d’être dans une forêt équatoriale. Un jardin botanique de 10 hectares c’est tout ce qui reste du centre social fondé en 1980 par le Professeur Yvette Paresse. « Nous avions 80 hectares de culture, mais l’Etat a tout repris ». Cet endroit très boisé se trouve au milieu d’une ville ce qui fait qu’il attire forcement l’attention des passants. La pression foncière est très forte car les promoteurs immobiliers ne cessent de faire le lobbying pour récupérer les terres.

   Au milieu des arbres se trouvent une dizaine de cases. Ces derniers ressemblent à celles qu’on voit dans les hôtels à cause de leur architecture. A l’entrée du jardin il est inscrit sur le mur du mémorial dédié à la fondatrice de la structure « professeur, enseignante, chercheur et guérisseuse», ce qui semble être un paradoxe. Comment une scientifique européenne peut être définie comme guérisseuse vue la conception que la science et les intellectuels en général ont de cette pratique ?

   En cette après-midi du jeudi 17 mars, l’ambiance est un peu calme. Les patients ne sont pas au rendez-vous car ils viennent se faire consulter essentiellement le matin. Contrairement au climat général, dans le laboratoire trois personnes s’activent autour d’un sac de feuilles sèches. Ils séparent les bonnes feuilles des mauvaises. L’endroit ressemble à une cuisine de par ses instruments éparpillés partout. Un mortier et ses pilons par ci, un tamis, une bouteille de gaz butane, une gazinière moderne et des marmites par là.

    En blouse blanche comme un véritable scientifique dans son laboratoire, Yéro Diallo est en pleine activité de transformation des feuilles de tamarin en poudre. De taille moyenne et de teint clair, il a des yeux fixés toujours sur son travail. En opposition à plusieurs guérisseurs en Afrique, Yéro n’a pas hérité de ce métier de ses parents, « nous avons été formés par le professeur Yvette Paresse qui était une biologiste française et enseignante à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar », affirme-t-il, avec une voix à peine audible.

   Ici la médecine n’est traditionnelle que par le nom, sinon tout est bien organisé et contrôlé à partir d’un ordinateur qui centre toutes les données. Dans le magasin de stockage, des centaines voire des milliers de bouteilles sont superposées sur des étagères. Chacune de ces dernières contient soit de la poudre de feuilles ou de racines, ou bien de la pommade ou du liquide. En visitant l’endroit, ce qui frappe en premier c’est le nombre de bouteilles et autres récipients qui se trouvent dans cette pièce et surtout la maitrise de leur sujet par les maîtres des lieux.

   Habillé en jean et tee-shirt, Moussa Diallo est un petit fils de Dadi Diallo, le plus grand médecin traditionaliste que l’hôpital ait connu. Après des études jusqu’en classe de 3ème sans obtenir le brevet de fin d’étude moyen (BEFEM), le jeune Moussa décide alors d’abandonner l’école au profit du métier de son grand père. Il parle avec aisance et connaît tous les noms des milliers de plantes médicinales (leurs noms scientifiques en français, leurs noms en Pulaar, et en Wolof) grâce à la formation qu’il a reçue auprès des anciens et lors des séminaires ou stages.

   Dans la pharmacie, une grande partie du mur est couverte par des affiches qui listent les différentes maladies traitées. « Nous traitons plusieurs maladies, même le VIH, nous avons eu des cas de séropositifs qui sont devenus séronégatifs après le traitement », explique notre guide du jour.

   Aujourd’hui l’hôpital traditionnel de Keur Massar a une dimension internationale. Il reçoit des patients venus d’Europe, d’Afrique et du monde entier. Connu pour la qualité de ses soins, il attire des chercheurs en médecine de tous les coins de la planète. Dans  son vaste bureau, une cigarette à la main, Djibril Bâ a un visage osseux et des yeux creux.

   Pour confirmer l’ampleur transnationale de sa structure, M. Bâ explique qu’ils exportent des médicaments à l’étranger et qu’ils disposent d’une pharmacie à Genève en Suisse qui approvisionne les pays européens. L’hôpital prend en charge les maladies les plus graves comme les cancers et le sida. «Nous traitons le Sida comme tout le monde, mais le guérir, je pense que c’est une utopie. Ce que nous faisons ici c’est un traitement immunostimulant qui permet aux patients de stopper définitivement l’évolution de la maladie. Dieu merci jusque-là on a eu d’excellents résultats à tel point que le Professeur Luc Montagnier biologiste et prix Nobel français de médecine est venu nous rendre visite pour s’imprégner de notre expérience», affirme le Directeur de l’hopital.

   Malgré son succès et son expérience incontestables, l’établissement sanitaire rencontre beaucoup de difficultés depuis le désengagement des allemands qui le finançaient et la mort de sa fondatrice. Cela justifie l’externalisation des soins car au début tous les patients étaient internés avec leurs familles. Selon Cheikh Gueye directeur de l’école du centre, 150 à 200 personnes vivaient ici et elles étaient prises en charge entièrement. Mais aujourd’hui tous ces  gens sont rentrés chez eux au village, d’autres sont restés à Dakar. Pour ceux qui sont là, certains vivent dans des difficultés énormes car ils étaient habitués à la vie facile mais aujourd’hui tout a changé.

                                                                                                      Abdourahim Barry