MOUHAMADOU
BARRO JOURNALISTE POLITISTE
« Aujourd’hui l’urgence c’est
d’aller vers des réformes consolidantes des institutions de notre pays »
Mouhamed BARRO |
Journaliste
engagé, membre du bureau du Mouvement du 23 juin (M23) et analyste politique, Mouhamadou
Barro est une des figures marquantes de la société civile sénégalaise. Porte-parole
de la famille de Mamadou Diop tué lors des manifestations contre la candidature
d’Abdoulaye Wade en 2012, il dirige le réseau des journalistes pour
l’information religieuse. Barro analyse la situation politique et économique du
pays avec optimisme.
En tant que journaliste observateur.
Quel est votre point de vue par rapport à la situation politique délétère de
notre pays ?
La
situation peut être analysée sous plusieurs angles. Le régime en place est issu
d’une élection libre et démocratique. Le président Macky Sall a été élu. Ensuite
une nouvelle assemblée nationale a été mise en place et les élections locales
ont toutes été organisées dans le calme. Donc on peut dire que la situation politique
s’est apaisée. Même s’il y a de l’autre côté des partis de l’opposition qui
s’opposent et une société civile qui est dans une dynamique de contrôle
citoyen. Mais malgré tout, nous pouvons dire que certaines situations perdurent
par rapport à un besoin de réformes institutionnelles qui étaient un vœu des
populations en 2012. Après le travail fait par la commission du doyen Amadou
Makhtar Mbow un rapport a été déposé sur la table du président de la république.
Aujourd’hui l’urgence c’est d’aller vers des réformes consolidantes des
institutions pour qu’on ne parle plus de problèmes institutionnels dans notre
pays.
Que répondriez-vous à ceux qui accusent
la société civile de rejoindre le pouvoir et de se taire sur ses
dérives ?
Il
faut dire qu’au Sénégal, la première difficulté qu’on a, c’est de définir qu’est
ce que la société civile ? car pour moi elle ne peut pas être résumée à
certaines personnalités. La société civile c’est l’ensemble des organisations
qui peuvent être des associations de femmes, des ASC, des dahiras etc. Ces
structures sont à Dakar et surtout dans
les autres localités du Sénégal. Mais malheureusement on résume tout à
certaines grandes institutions de la société civile. Je dis aussi légitiment on
ne peut pas reprocher à ceux-là qui étaient dans la société civile de rejoindre
le président Macky Sall parce qu’ils sont libres et la loi le permet, donc ils ont
pris une option que nous respectons. L’essentiel c’est qu’il y a d’autres qui restent dans la société civile et continuent
le contrôle citoyen.
Si vous devez faire le bilan à
mi-parcours du président Sall que diriez-vous ?
Je
dirais qu’il est quand-même sur le bon
chemin malgré certains disfonctionnements liés à sa gestion et d’autres goulots
d’étranglements qui viennent d’ailleurs ce qu’on ne dit pas souvent, parce qu’effectivement
la plus grande responsabilité incombe au président de la république. Mais il
faut dire qu’il y a une certaine résistance sur le plan social, culturel, de
nos habitudes, dans la classe maraboutique et dans les associations. Voilà
pourquoi les citoyens que nous sommes rechignent parfois à accompagner
certaines réformes, ce qui fait que donc les Etats ou les chefs d’Etats sont obligés de marcher
au rythme de leurs populations. Donc il faut dire qu’il y a beaucoup de projets
qui sont mis en place. Sur le plan de la bonne gouvernance, plusieurs efforts ont
été faits. Mais il reste quand-même du chemin à faire sur le domaine institutionnel.
On ne peut pas avoir deux poids deux mesures car la transhumance politique
perdure.
Le président de la république vient
de boucler une tournée d’une semaine en Casamance. Que pensez-vous de ce
déplacement ?
Je
crois que ça a été une innovation majeure, qu’un président puisse aller dans la
région sud du pays trois fois de suite avec autant d’investissements sur le
plan du développement. C’est des efforts à saluer parce que la Casamance et
beaucoup de régions à l’intérieur du
pays ont trop souffert à cause de leur enclavement. Le fait qu’il n’y avait pas
suffisamment de moyens de transports depuis la disparition du bateau Le Joola,
a causé beaucoup de tort à cette partie du Sénégal. Mais aujourd’hui nous avons
les deux nouveaux bateaux qui permettront de faciliter le développement de la
région. La construction du pont de Kolda aussi va rendre le transport fluide et
assurer la continuité du territoire.
L’opposition dit que c’est un
déplacement politique en perspective de l’élection présidentielle de 2017, le
camp du pouvoir dit que c’est une tournée économique. Quelle est votre
analyse ?
Je
crois que les gens sont libres de faire leur analyse, mais aujourd’hui une
tournée politique n’a pas forcément cette allure, parce que là ce sont des
investissements structurants qui sont faits. Ce qui est visible c’est des
bateaux, des routes, des ponts etc. Maintenant politiquement il faut dire que
tout régime qui fait des investissements importants dans une région aura les
bénéfices de certains avantages. Mais aussi si faire de la politique c’est
investir dans des projets y a rien de mal à ça.
Que
pensez-vous des conseils des ministres décentralisés initiés par Macky Sall
depuis 2012 ?
Je pense que la perception vient d’abord des
populations qui accueillent les autorités. Parce qu’au-delà de l’accueil, les
habitants de ces régions ont toujours vécu une certaine marginalisation, ils se
sentaient oubliés par l’Etat car beaucoup de citoyens du Fouta, de Kédougou, de
la Casamance en venant à Dakar disent : « nous allons au Sénégal ».
C’est parce que pendant longtemps ils ont été marginalisés. Récemment à
Kédougou j’ai vu à travers les médias qu’il n’y avait pas assez de matelas dans
les hôtels. Les ministres ont passé la nuit dans des villas des personnalités
de la région, cela va permettre à ces derniers de voir les conditions dans lesquelles
ces populations vivent pour prendre des mesures de solution.
Depuis qu’on a commencé les
conseils des ministres décentralisés on a promis beaucoup de milliards, mais
concrètement qu’est qui a été fait?
Nous
pouvons dire qu’il y a un réel problème
de communication dans ce que l’Etat fait. C’est-à-dire que ces genres de
promesses de milliards, c’est des possibilités d’investissements, des projets des
grandes firmes ou entreprises. Malheureusement ce n’est pas bien présenté et
souvent les populations n’ont pas le même entendement. Ils vont penser que cet
argent doit venir dès le départ du président et ils vont s’agiter. Mais je
pense qu’il y a un effort à faire dans ce domaine pour que les populations
puissent comprendre de quoi il s’agit.
Vous êtes aussi le porte-parole de
la famille de Mamadou Diop tué lors des violences préélectorales de 2012. Où en
est ce dossier sur le plan judiciaire?
Il faut dire que le dossier a deux
volets : un volet judiciaire et un volet civil. Sur le plan judiciaire
après le troisième anniversaire, on a noté effectivement beaucoup de lenteurs
par ce que le dossier a été géré de manière très lente. Aujourd’hui l’enquête a
été bouclés nous (NDLR: membre de la famille de Mamadou Diop) avons été entendus
récemment par le doyen des juges. Mais malheureusement il faut dire que cette
affaire a pris beaucoup de retards. Trois ans après le décès tragique de
Mamadou Diop, nous devons maintenant aller vers des poursuites judiciaires car
nous sommes convaincus qu’il y a eu des responsables dans la chaine de
commandement. On nous parle de deux policiers chauffeurs qui étaient dans le
camion de la police arrêtés, ils sont peut-être des exécutants, il y a quand-même
d’autres responsables dans la hiérarchie de la police qui doivent être entendus
sur le dossier pour faire éclater la vérité et qu’on puisse faire notre deuil.
Selon vous, qu’est ce qui bloque le
dossier ?
C’est
d’abord un dossier qui est en instruction il faut le dire, ensuite c’est un
dossier qui touche certaines sensibilités, des autorités de la police comme
l’ancien commissaire de Dakar Harouna Sy, l’ancien ministre de l’intérieur
Ousmane Ngom, les responsables de la police. Moi je crois fermement c’est tout cela qui fait
que le dossier n’avance pas. Malgré tout un Etat ne doit pas fonctionner comme
ça, car la loi est générale et impersonnelle, qu’on soit policier ou citoyen simple,
la justice doit être rendue.
Propos recueillis par Abdourahim Barry
* Cette interview a été réalisée au mois de février dernier
* Cette interview a été réalisée au mois de février dernier