jeudi 16 avril 2015

L'EDUCATION AU SENEGAL: QUAND NOS MINISTRES SE TROMPENT DE PRIORITES ET CIBLES!



« Il n’est pas nécessaire à un prince d’avoir toutes les bonnes qualités dont j’ai fait l’énumération, mais il lui est indispensable de paraître les avoir. […] Il doit se plier aisément aux différentes circonstances dans lesquelles il peut se trouver ».

                                     Machiavel, Le prince (1513), Traduction d’Y. Lèvy, Éditions G-F., p. -62.


La sortie récente du ministre chargé de l’Enseignement supérieur Mary Teuw NIANE, le 14 janvier 2015, ne nous choque point car nous avons déjà lu Le prince de Machiavel! Il s’agit d’un nouveau show lacunaire de plus. Ni plus ni moins car, avant de prétendre poser des passerelles entre les universités et le monde de l’entreprise, il faut d’abord commencer par le commencement: construire une vraie université... Le ministre veut amuser encore une fois la galerie en cherchant, dit-il, de « l’innovation » dans la loi cadre portant sur les universités publiques. Quelle innovation?! Pour lui, « l’université ne sera plus cette tour d’ivoire qui fonctionne pour elle-même»: comme l’université lui « appartient », il prétend l’offrir au monde socioéconomique et aux entreprises. Et c’est justement, selon lui, ce que le SAES n’a pas compris. Dans son entêtement habituel, il « insulte » en effet toute l’intelligence de l’université, pensant que ses idées sont toujours « infaillibles »! Rien de nouveau sous le soleil du sahel de M. NIANE. Mais trop c’est trop!

Depuis plus d’une décennie au Sénégal, les enseignants –toutes catégories confondues- font l’objet d’attaques, de mépris et de railleries de toutes sortes. Des attaques pas trop souvent savantes et éclairées. Elles viennent soit de discours démagogiques, montés par des politiques incapables de trouver les vraies solutions au système éducatif trop longtemps affecté par mille lacunes et défaillances. Au lieu de mener un débat sérieux, exhaustif et transversal sur la crise qui s’est installée depuis les « Indépendances », ils ne trouvent pas mieux que de prendre les enseignants pour adversaires et les étudiants pour des perturbateurs. En ce qui concerne les enseignants, ils les diabolisent en effet, les peignent comme des « coureurs de sous », les insultent, les mettent en mal contre la société, les menacent, etc.

            Tout a commencé avec le régime sortant! Mais pas sous le magistère bien sûr de l’auguste ministre Moustapha SOURANG, lui, il a de la classe et une belle posture. Il n’est pas de ces ministres renfrognés qui, surpris par leur propre nomination, se mettent dans une logique de tiraillement et de ping-pong en vociférant des insultes « déguisées ». Ces ministres qui parlent avec arrogance, le soupire aux lèvres. Nous voulons dire ces « ministres » parrains de gala de lutte et/ou de « tann beer ». Néanmoins, par son charisme agréable et son verbe soigné, l’universitaire Moustapha SOURANG, lui, diffère des gladiateurs qui, armés de « chiffres » pompeux et caduques mais vides de « qualités », s’acharnent sur les nobles enseignants du Sénégal pour les peindre comme des gens malhonnêtes qui ne font pas leur travail, qui ne posent que des actes motivés par l’argent. Le peuple, ainsi sous informé, ignore royalement les vrais objets du combat de ses enseignants.

            Au Sénégal, depuis quelque temps, la démagogie, la diversion et l’amalgame constituent l’essentiel des discours de nos autorités « détracteurs » des enseignants mais aussi des étudiants, frange vulnérable et agneau sacrificiel de politiciens ignorants. Les ministres chargés de l’Enseignement remportent, malheureusement, la palme d’or en tâtonnement. Lorsque l’un d’eux se cache derrière une « technocratie révolutionnaire » au point de mépriser les sciences sociales et littéraires, un « intellectualisme pauvre » et une « bureaucratie mimétique », voulant appliquer dare-dare des mesures universitaires, qu’il aurait vues de l’autre coté de la barrière (Hexagone) et qui ne correspondent pas du tout au niveau de développement socioéconomique et infrastructurel de notre pays, un autre nous invitait « jadis » à un « sursaut patriotique ». Il ignorait que le « sursaut », en dehors de la gymnastique, exprime une action brutale d’un homme, comme qui dirait, surpris et apeuré par quelque chose. Ensuite, c’est juste un slogan vide de pertinence car le « sursaut » évoque toujours l’idée de violence, de brutalité et l’effet d’engourdissement. « Accélérer la cadence » s’inscrit à cette même logique de brutalité car le mot « accélérer » est aussi un synonyme de « forcer ».

            Nos ministres aiment trop les slogans, déréglés malheureusement. Mary Teuw NIANE ne déroge pas à la règle, avec sa longue dissertation sur sa formule creuse de « gouvernance universitaire !?». Idem pour le slogan wolof polémiste et non avenu de cette année « tiji tay jang’ tay » [littéralement: commencer les enseignements le même jour d’ouverture des classes]. Dans ce Sénégal où beaucoup d’écoles servent désormais de logements provisoires aux familles victimes de pluies torrentielles et hivernales [depuis plus d’une décennie, notre pays peine à résoudre ce petit problème!] et le peuple fêtard tordant le cou au calendrier, ce serait lacunaire de lancer un slogan du genre! Dans ce Sénégal où les universités n’ont plus de calendriers académiques, littéralement, nous ouvrons quand les autres ferment et fermons quand les autres ouvrent, et les sessions d’examen se font depuis quelques temps dans l’arrangement et le style « sauve-qui-peut » -au mépris des étudiants-, on commence à s’habituer à la honteuse grève des professeurs des universités. Quelle honte pour notre pays, quant on ne sait pas respecter ces universitaires qui sont aussi des autorités très respectés dans d’autres pays! Chez nous, on ne donne pas beaucoup de valeurs à l’universitaire car notre rapport au savoir est très mercantile.

            Dans ce Sénégal où la réforme LMD souffre de mille maux (quantum horaire bâclé, manque d’infrastructures, de supports et de professeurs[1], problème de renouvellement des contenus à enseigner, etc.), ce serait vraiment un argument trop simpliste de vouloir mettre toute la responsabilité sur le dos du poids démographique des étudiants. Gouverner c’est prévoir et anticiper, qu’est-ce que notre pays a fait, depuis plusieurs décennies de gestion, pour prévoir le boom démographique dans nos universités? De grâce, que l’on cesse de nous brandir « l’argument fallacieux » du nombre! Doit-on ignorer que le Soudan voisin compte –de source autorisée- plus de 95 universités? Doit-on ignorer que le Nigéria, depuis, 2005, comptait déjà 32 universités? Et le Sénégal, combien d’universités avons-nous? Réponse: 2 (!!!) et 3 grandes écoles (appelées CUR, centres universitaires régionaux: Bambèye, Ziguinchor et « l’université » virtuelle, vraiment « virtuelle » parce qu’invisible jusqu’à maintenant!). Aujourd’hui, toutes les régions du Sénégal devraient loger des universités spécialisées [idée à développer]: il n’existe pas mille solutions et on n’a pas besoin de réinventer la roue. 

Malheureusement, l’autorité opte progressivement, dans une logique capitaliste radicale, de privatiser nos universités tout en les ghettoïsant avec le nombre. Sur ce point, le transfert des bacheliers vers des écoles de formation de la place est une nébuleuse par rapport à laquelle les autorités compétentes doivent éclairer la lanterne des sénégalais…La massification au niveau des filières et disciplines techniques, mathématiques et non littéraires, un quasi favoritisme aveugle appliqué et « théorisé » à volonté par le ministre Mary Teuw NIANE, est, d’une part et dans une certaine mesure, dangereuse pour l’avenir de l’enseignement des séries littéraires et classiques dans notre pays et, contrairement à la prétention démesurée du ministre, elle n’est pas la seule solution possible à la question de l’insertion professionnelle, d’autre part. À moins que notre pays n’opte, avec Mary Teuw NIANE, de ne former que des « primates écervelés » qui ne savent quoi faire de la littérature, de la culture littéraire et des classiques, décidément encombrantes!

La bancarisation « forcée » des étudiants et des enseignants, sans être dépourvus de « bienfaits », explique toujours, au-delà du souci positif d’être en phase avec les exigences techniques de notre temps, la frénésie de nos gouvernants face à l’éternelle                                    « équation »  du nombre, de l’effectif. De toute façon, les enseignants et les étudiants doivent savoir qu’ils seront toujours victimes de l’argument du « nombre » tant que l’autorité n’y voit que du négatif. Pourtant, notre pays est très loin de combler le gap en étudiants (même pas les 2 % de la population) et en enseignants pour espérer l’essor du développement espéré. Interrogez les chiffres et comparez les pourcentages avec l’effectif de la population du Sénégal, pour vous en convaincre. Paradoxe des paradoxes, on n’est pas surpris souvent d’entendre des arguments ignares du genre « les enseignants sont trop nombreux », « Ils aiment trop l’argent », les « étudiants sont violents ».

Pour le premier argument, il faut noter avec désolation l’absence de logique car les enseignants ont presque tous la corde des banques tristement nouée à leurs misérables cous. Plongés dans la précarité et la tyrannie des banques, ils vivent une vraie instabilité financière faute d’argent et de considération. Mais, le comble c’est qu’on oublie que le principe du « nombre » chérit bien les institutions financières qui se chargent de recouvrement de taxes. On ne dit jamais que les enseignants sont nombreux parce qu’ils cotisent en payant une masse énorme par les taxes et impôts! En termes plus simples, les enseignants contribuent efficacement aux renforcements des caisses de sécurité (exp. IPRES, Caisse de sécurité sociale, etc.). Pourtant, depuis des années, le phénomène inquiétant de la « reconversion » des enseignants –qui changent de fonction par voie de concours, de déclassement, d’émigration ou par simple abandon- aurait dû alarmer nos dirigeants politiques et susciter de profondes et sérieuses réflexions. Mais, non, on préfère aborder les problèmes de surfaces (baisse des niveaux, grèves cycliques, surnombre…) sans foncer vers les approches de fond.

Les effectifs des classes dans les écoles et les universités s’agrandissent de plus en plus, hypothéquant et fragilisant la santé des enseignants, des élèves et des étudiants. Pourtant on n’en parle jamais! Ils iront tous au paradis, ces vénérables travailleurs! Au plan scolaire, on passe de 45 (la norme) à 90 ou 110 élèves, jusques y compris dans les salles de terminales, sans oublier le manque de salle de classes et les dangereux « abris provisoires » en pailles, gîtes des serpents et des scorpions. Pourtant, les enseignants s’y ballotent comme de vulgaires dockers. Il y a un manque réel d’enseignants au Sénégal, nonobstant le poids herculéen de charges qu’on nous colle. Les droits des enseignants et des étudiants sont toujours ignorés par les masses populaires. Concernant le deuxième « argument », les enseignants ont raison de « désirer » l’argent car, pour reprendre Henri BERGSON, « on ne désire que ce que l’on manque, le désir est mimétique »; les enseignants sont pauvres si l’on en juge leurs valeurs et leurs efforts. Personne n’a de leçons de             « patriotisme » à leur rappeler puisqu’ils ont, par et pour eux-mêmes, opté de porter les bottes poussiéreuses et le froc de l’enseignant, bravant les risques de la poudre de craie, au lieu de convoiter les bureaux climatisés, parfumés, aux fauteuils en cuir, et connectés à l’internet ou encore les 500000 (salaire-chômé-payé) des femmes d’ambassadeurs ou encore les 1.300.000 ou 900000 [qu’est-ce qu’on en sait!?] de conseillers…nommés par le Président.

            Depuis plus de deux ans, nonobstant l’espoir suscité par le fameux projet de « régime de rupture » du président Macky Sall, les formules génériques n’ont cessées de tomber, par exemple, « toute revendication à incidence financière est irrecevable! », « les étudiants n’ont pas le choix », « les bourses ne sont pas obligatoires », « l’obtention du BAC ne donne pas forcément droit à l’accès à l’université », « les enseignants ne devraient même pas songer à l’argent ». Ces provocations constituent une contradiction et des propos belliqueux auxquels on est habitué depuis le fameux ministre « Kalou » de DIALLO. Patriotique, oui, mais, d’abord, un patriotisme éclairé et fondé sur la justice et l’équité au profit de tous sénégalais. Nous sommes contre un « patriotisme » de « mannequinat politique ». À toutes les autorités qui comptent jouer sur les mots et les discours génériques, nous disons solennellement: ça suffit! On ne construit pas un système par le verbalisme, c’est-à-dire l’art du beau dire!

En matière de politique, nos « politiciens » ont beaucoup intérêt à lire et à relire des théoriciens politiques célèbres comme Régis DEBRAY (sur la magouille politique), Jürgen HABERMAS (sur la manipulation de l’Opinion), Serge TCHAKHOTINE (sur le viol des foules par la propagande politique), Samir AMIN (sur la théorie du chaos), entre autres. Ils apprendront que la manipulation de l’Opinion ne peut pas toujours prospérer. C’est une catapulte qui risque d’emporter, un jour, son artisan. Ils apprendront que c’est la compréhension des différentes métamorphoses profondes qui affectent la « mentalité collective » au plan sociologique, psychologique et matériel qui permet de saisir la profondeur de cette crise et non la politique d’exclusion, de privatisation, de diversion et d’amalgame.

Quand on est imbu de valeurs chevaleresques telles que le sens de l’honneur, la dignité, la modestie et la fierté, il est très éprouvant de voir un homme vouloir éternellement construire un argumentaire autour de quatre mots: démagogie, amalgame, hypocrisie et diversion. Il est temps que les sénégalais comprennent le sens et l’envergure de ces quatre mots. En politique, généralement, c’est ceux-là qui n’ont aucune compétence en matière de conceptualisation et de conception de programmes pertinents et adaptés qui versent dans la polémique par la grande gueule, par le « débat de bas-étage » ou de « rez-de-chaussée », par la logomachie (bavardage terrible et stérile); une autre façon de cacher par ailleurs leurs lacunes.

Aux lendemains du 25 Mars dernier, tous les sénégalais étaient contents, enthousiastes et pleins d’espoir de voir enfin l’émergence d’une nouvelle « race » de politiques qui savent respecter les sénégalais. Des politiques qualifiés et moralement correctes. Des politiques qui ne prennent pas en hottage le peuple pour vivre dans l’opulence perverse. Mais, nonobstant la promesse de rupture tant vantée par le président Macky SALL, il y a un vrai fiasco, du moins, pour ce qui est de la volonté de réformer l’Éducation en général et les mœurs. Dans le cadre de l’enseignement, il y a l’absence d’un vrai dialogue avec les syndicats: un dialogue où on ne pose pas en amont des restrictions et des conditions. Les « assises », on en parle, mais elles sont toujours attendues. Les accords avec les syndicats, depuis 2009, sont toujours négligés par les ministres qui se sont succédés. Le dilatoire s’instaure.

            C’est très triste et déplorable de noter que, par rapport au pouvoir sortant, le gouvernement traine le pas et reprend certaines attitudes qui ont fait sombrer dans l’échec tout un système. À quoi doit servir l’histoire? Hegel a raison: « il n’y a pas de leçons de l’Histoire pour les hommes », les hommes ne savent tirer des leçons de l’Histoire. On a l’impression que le gouvernement n’a pas tiré tous les enseignements de la crise de l’année d’avant l’alternance de l’alternance! On oublie très vite. Ce n’est pas avec des menaces et des pratiques dignes de casernes militaires que les enseignants et les étudiants céderont par rapport à leurs droits et leur dignité. Les enseignants sont de dignes fils du pays, des gens diplômés, avertis et patriotiques et on ne peut pas faire le Sénégal dans le mépris total des étudiants.

Iba FALL


Professeur de philosophie

Écrivain-essayiste

Doctorant ED. ETHOS/UCAD

Ancien président de la SECUD-AEEMS

Adhame_fall@yahoo.fr




[1] Selon l’éminent professeur Abdou Kader NDOYE –chargé de la réforme universitaire-, dans le système (international) LMD, on doit avoir « 1 professeur pour chaque 19 étudiant » (cf. Journal, l’étudiant musulman, 2005). Or, à l’UCAD, pour une population estudiantine « estimée » à –approximativement- 95 mille étudiants- [rappel: la capacité d’accueil initiale et prévue était de l’ordre de 6OOO étudiants], on ne compte pas 2000 enseignants, sans oublier que la majorité ce sont des vacataires démotivés…Je vous laisse faire le calcul par rapport à la norme mondiale LMD.

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