« Il n’est pas
nécessaire à un prince d’avoir toutes les bonnes qualités dont j’ai fait
l’énumération, mais il lui est indispensable de paraître les avoir. […] Il doit
se plier aisément aux différentes circonstances dans lesquelles il peut se
trouver ».
Machiavel, Le prince (1513), Traduction d’Y. Lèvy, Éditions G-F., p. -62.
La sortie récente du ministre chargé de l’Enseignement
supérieur Mary Teuw NIANE, le 14 janvier 2015, ne nous choque point car nous
avons déjà lu Le prince de Machiavel!
Il s’agit d’un nouveau show lacunaire de plus. Ni plus ni moins car, avant de
prétendre poser des passerelles entre les universités et le monde de
l’entreprise, il faut d’abord commencer par le commencement: construire une
vraie université... Le ministre veut amuser encore une fois la galerie en
cherchant, dit-il, de « l’innovation » dans la loi cadre portant sur
les universités publiques. Quelle innovation?! Pour lui, « l’université ne
sera plus cette tour d’ivoire qui fonctionne pour elle-même»: comme
l’université lui « appartient », il prétend l’offrir au monde socioéconomique
et aux entreprises. Et c’est justement, selon lui, ce que le SAES n’a pas
compris. Dans son entêtement habituel, il « insulte » en effet toute
l’intelligence de l’université, pensant que ses idées sont toujours
« infaillibles »! Rien de nouveau sous le soleil du sahel de
M. NIANE. Mais trop c’est trop!
Depuis plus d’une décennie au Sénégal, les enseignants
–toutes catégories confondues- font l’objet d’attaques, de mépris et de
railleries de toutes sortes. Des attaques pas trop souvent savantes et
éclairées. Elles viennent soit de discours démagogiques, montés par des
politiques incapables de trouver les vraies solutions au système éducatif trop
longtemps affecté par mille lacunes et défaillances. Au lieu de mener un débat
sérieux, exhaustif et transversal sur la crise qui s’est installée depuis les
« Indépendances », ils ne trouvent pas mieux que de prendre les
enseignants pour adversaires et les étudiants pour des perturbateurs. En ce qui
concerne les enseignants, ils les diabolisent en effet, les peignent comme des
« coureurs de sous », les insultent, les mettent en mal contre la
société, les menacent, etc.
Tout a commencé avec le régime
sortant! Mais pas sous le magistère bien sûr de l’auguste ministre Moustapha
SOURANG, lui, il a de la classe et une belle posture. Il n’est pas de ces
ministres renfrognés qui, surpris par leur propre nomination, se mettent dans
une logique de tiraillement et de ping-pong en vociférant des insultes
« déguisées ». Ces ministres qui parlent avec arrogance, le soupire
aux lèvres. Nous voulons dire ces « ministres » parrains de gala de
lutte et/ou de « tann beer ». Néanmoins, par son charisme agréable et
son verbe soigné, l’universitaire Moustapha SOURANG, lui, diffère des
gladiateurs qui, armés de « chiffres » pompeux et caduques mais vides
de « qualités », s’acharnent sur les nobles enseignants du Sénégal
pour les peindre comme des gens malhonnêtes qui ne font pas leur travail, qui
ne posent que des actes motivés par l’argent. Le peuple, ainsi sous informé,
ignore royalement les vrais objets du combat de ses enseignants.
Au
Sénégal, depuis quelque temps, la démagogie, la diversion et l’amalgame
constituent l’essentiel des discours de nos autorités « détracteurs »
des enseignants mais aussi des étudiants, frange vulnérable et agneau
sacrificiel de politiciens ignorants. Les ministres chargés de l’Enseignement
remportent, malheureusement, la palme d’or en tâtonnement. Lorsque l’un d’eux
se cache derrière une « technocratie révolutionnaire » au point de
mépriser les sciences sociales et littéraires, un
« intellectualisme pauvre » et une « bureaucratie
mimétique », voulant appliquer dare-dare des mesures universitaires, qu’il
aurait vues de l’autre coté de la barrière (Hexagone) et qui ne correspondent
pas du tout au niveau de développement socioéconomique et infrastructurel de
notre pays, un autre nous invitait « jadis » à un « sursaut
patriotique ». Il ignorait que le « sursaut », en dehors de la
gymnastique, exprime une action brutale d’un homme, comme qui dirait, surpris
et apeuré par quelque chose. Ensuite, c’est juste un slogan vide de pertinence
car le « sursaut » évoque toujours l’idée de violence, de brutalité
et l’effet d’engourdissement. « Accélérer la cadence » s’inscrit à cette
même logique de brutalité car le mot « accélérer » est aussi un
synonyme de « forcer ».
Nos ministres aiment trop les
slogans, déréglés malheureusement. Mary Teuw NIANE ne déroge pas à la règle,
avec sa longue dissertation sur sa formule creuse de « gouvernance
universitaire !?». Idem pour le slogan wolof polémiste et non avenu de
cette année « tiji tay jang’ tay » [littéralement: commencer les
enseignements le même jour d’ouverture des classes]. Dans ce Sénégal où
beaucoup d’écoles servent désormais de logements provisoires aux familles
victimes de pluies torrentielles et hivernales [depuis plus d’une décennie,
notre pays peine à résoudre ce petit problème!] et le peuple fêtard tordant le
cou au calendrier, ce serait lacunaire de lancer un slogan du genre! Dans ce
Sénégal où les universités n’ont plus de calendriers académiques,
littéralement, nous ouvrons quand les autres ferment et fermons quand les
autres ouvrent, et les sessions d’examen se font depuis quelques temps dans
l’arrangement et le style « sauve-qui-peut » -au mépris des étudiants-,
on commence à s’habituer à la honteuse grève des professeurs des universités.
Quelle honte pour notre pays, quant on ne sait pas respecter ces universitaires
qui sont aussi des autorités très respectés dans d’autres pays! Chez nous, on
ne donne pas beaucoup de valeurs à l’universitaire car notre rapport au savoir
est très mercantile.
Dans
ce Sénégal où la réforme LMD souffre de mille maux (quantum horaire bâclé,
manque d’infrastructures, de supports et de professeurs[1],
problème de renouvellement des contenus à enseigner, etc.), ce serait vraiment
un argument trop simpliste de vouloir mettre toute la responsabilité sur le dos
du poids démographique des étudiants. Gouverner c’est prévoir et anticiper,
qu’est-ce que notre pays a fait, depuis plusieurs décennies de gestion, pour
prévoir le boom démographique dans nos universités? De grâce, que l’on cesse de
nous brandir « l’argument fallacieux » du nombre! Doit-on ignorer que le
Soudan voisin compte –de source autorisée- plus de 95 universités? Doit-on
ignorer que le Nigéria, depuis, 2005, comptait déjà 32 universités? Et le
Sénégal, combien d’universités avons-nous? Réponse: 2 (!!!) et 3 grandes écoles
(appelées CUR, centres universitaires régionaux: Bambèye, Ziguinchor et
« l’université » virtuelle, vraiment « virtuelle » parce
qu’invisible jusqu’à maintenant!). Aujourd’hui, toutes les régions du Sénégal
devraient loger des universités spécialisées [idée à développer]: il n’existe
pas mille solutions et on n’a pas besoin de réinventer la roue.
Malheureusement, l’autorité opte progressivement, dans
une logique capitaliste radicale, de privatiser nos universités tout en les
ghettoïsant avec le nombre. Sur ce point, le transfert des bacheliers vers des
écoles de formation de la place est une nébuleuse par rapport à laquelle les
autorités compétentes doivent éclairer la lanterne des sénégalais…La
massification au niveau des filières et disciplines techniques, mathématiques
et non littéraires, un quasi favoritisme aveugle appliqué et « théorisé »
à volonté par le ministre Mary Teuw NIANE, est, d’une part et dans une certaine
mesure, dangereuse pour l’avenir de l’enseignement des séries littéraires et
classiques dans notre pays et, contrairement à la prétention démesurée du
ministre, elle n’est pas la seule solution possible à la question de
l’insertion professionnelle, d’autre part. À moins que notre pays n’opte, avec Mary
Teuw NIANE, de ne former que des « primates écervelés » qui ne savent
quoi faire de la littérature, de la culture littéraire et des classiques,
décidément encombrantes!
La bancarisation « forcée » des étudiants et
des enseignants, sans être dépourvus de « bienfaits », explique
toujours, au-delà du souci positif d’être en phase avec les exigences
techniques de notre temps, la frénésie de nos gouvernants face à
l’éternelle « équation » du nombre,
de l’effectif. De toute façon, les enseignants et les étudiants doivent savoir
qu’ils seront toujours victimes de l’argument du « nombre » tant que
l’autorité n’y voit que du négatif. Pourtant, notre pays est très loin de
combler le gap en étudiants (même pas les 2 % de la population) et en
enseignants pour espérer l’essor du développement espéré. Interrogez les
chiffres et comparez les pourcentages avec l’effectif de la population du
Sénégal, pour vous en convaincre. Paradoxe des paradoxes, on n’est pas surpris
souvent d’entendre des arguments ignares du genre « les enseignants sont
trop nombreux », « Ils aiment trop l’argent », les « étudiants
sont violents ».
Pour le premier argument, il faut noter avec désolation
l’absence de logique car les enseignants ont presque tous la corde des banques
tristement nouée à leurs misérables cous. Plongés dans la précarité et la
tyrannie des banques, ils vivent une vraie instabilité financière faute
d’argent et de considération. Mais, le comble c’est qu’on oublie que le
principe du « nombre » chérit bien les institutions financières qui
se chargent de recouvrement de taxes. On ne dit jamais que les enseignants sont
nombreux parce qu’ils cotisent en payant une masse énorme par les taxes et
impôts! En termes plus simples, les enseignants contribuent efficacement aux
renforcements des caisses de sécurité (exp. IPRES, Caisse de sécurité sociale,
etc.). Pourtant, depuis des années, le phénomène inquiétant de la
« reconversion » des enseignants –qui changent de fonction par voie
de concours, de déclassement, d’émigration ou par simple abandon- aurait dû
alarmer nos dirigeants politiques et susciter de profondes et sérieuses réflexions.
Mais, non, on préfère aborder les problèmes de surfaces (baisse des niveaux,
grèves cycliques, surnombre…) sans foncer vers les approches de fond.
Les effectifs des classes dans les écoles et les
universités s’agrandissent de plus en plus, hypothéquant et fragilisant la
santé des enseignants, des élèves et des étudiants. Pourtant on n’en parle
jamais! Ils iront tous au paradis, ces vénérables travailleurs! Au plan
scolaire, on passe de 45 (la norme) à 90 ou 110 élèves, jusques y compris dans
les salles de terminales, sans oublier le manque de salle de classes et
les dangereux « abris provisoires » en pailles, gîtes des
serpents et des scorpions. Pourtant, les enseignants s’y ballotent comme de
vulgaires dockers. Il y a un manque réel d’enseignants au Sénégal, nonobstant
le poids herculéen de charges qu’on nous colle. Les droits des enseignants et
des étudiants sont toujours ignorés par les masses populaires. Concernant le
deuxième « argument », les enseignants ont raison de
« désirer » l’argent car, pour reprendre Henri BERGSON, « on ne désire que ce que l’on manque, le
désir est mimétique »; les enseignants sont pauvres si l’on en juge
leurs valeurs et leurs efforts. Personne n’a de leçons de « patriotisme » à leur rappeler
puisqu’ils ont, par et pour eux-mêmes, opté de porter les bottes poussiéreuses
et le froc de l’enseignant, bravant les risques de la poudre de craie, au lieu
de convoiter les bureaux climatisés, parfumés, aux fauteuils en cuir, et
connectés à l’internet ou encore les 500000 (salaire-chômé-payé) des femmes
d’ambassadeurs ou encore les 1.300.000 ou 900000 [qu’est-ce qu’on en sait!?] de
conseillers…nommés par le Président.
Depuis plus de deux ans, nonobstant
l’espoir suscité par le fameux projet de « régime de rupture »
du président Macky Sall, les formules génériques n’ont cessées de tomber, par
exemple, « toute revendication à incidence financière est
irrecevable! », « les étudiants n’ont pas le choix », « les
bourses ne sont pas obligatoires », « l’obtention du BAC ne donne pas
forcément droit à l’accès à l’université », « les enseignants ne
devraient même pas songer à l’argent ». Ces provocations constituent une
contradiction et des propos belliqueux auxquels on est habitué depuis le fameux
ministre « Kalou » de DIALLO. Patriotique, oui, mais, d’abord, un
patriotisme éclairé et fondé sur la justice et l’équité au profit de tous
sénégalais. Nous sommes contre un « patriotisme » de
« mannequinat politique ». À toutes les autorités qui comptent jouer
sur les mots et les discours génériques, nous disons solennellement: ça suffit!
On ne construit pas un système par le verbalisme, c’est-à-dire l’art du beau
dire!
En matière de politique, nos
« politiciens » ont beaucoup intérêt à lire et à relire des
théoriciens politiques célèbres comme Régis DEBRAY (sur la magouille
politique), Jürgen HABERMAS (sur la manipulation de l’Opinion), Serge TCHAKHOTINE (sur le viol
des foules par la propagande politique), Samir AMIN (sur la théorie du chaos),
entre autres. Ils apprendront que la manipulation de l’Opinion ne peut pas
toujours prospérer. C’est une catapulte qui risque d’emporter, un jour, son
artisan. Ils apprendront que c’est la compréhension des différentes
métamorphoses profondes qui affectent la « mentalité collective » au
plan sociologique, psychologique et matériel qui permet de saisir la profondeur
de cette crise et non la politique d’exclusion, de privatisation, de diversion
et d’amalgame.
Quand on est imbu de valeurs
chevaleresques telles que le sens de l’honneur, la dignité, la modestie et la
fierté, il est très éprouvant de voir un homme vouloir éternellement construire
un argumentaire autour de quatre mots: démagogie, amalgame, hypocrisie et
diversion. Il est temps que les sénégalais comprennent le sens et l’envergure
de ces quatre mots. En politique, généralement, c’est ceux-là qui n’ont aucune
compétence en matière de conceptualisation et de conception de programmes
pertinents et adaptés qui versent dans la polémique par la grande gueule, par
le « débat de bas-étage » ou de « rez-de-chaussée », par la
logomachie (bavardage terrible et stérile); une autre façon de cacher par
ailleurs leurs lacunes.
Aux lendemains du 25 Mars
dernier, tous les sénégalais étaient contents, enthousiastes et pleins d’espoir
de voir enfin l’émergence d’une nouvelle « race » de politiques qui
savent respecter les sénégalais. Des politiques qualifiés et moralement
correctes. Des politiques qui ne prennent pas en hottage le peuple pour vivre
dans l’opulence perverse. Mais, nonobstant la promesse de rupture tant vantée
par le président Macky SALL, il y a un vrai fiasco, du moins, pour ce qui est
de la volonté de réformer l’Éducation en général et les mœurs. Dans le cadre de
l’enseignement, il y a l’absence d’un vrai dialogue avec les syndicats: un
dialogue où on ne pose pas en amont des restrictions et des conditions. Les
« assises », on en parle, mais elles sont toujours attendues. Les
accords avec les syndicats, depuis 2009, sont toujours négligés par les
ministres qui se sont succédés. Le dilatoire s’instaure.
C’est
très triste et déplorable de noter que, par rapport au pouvoir sortant, le
gouvernement traine le pas et reprend certaines attitudes qui ont fait sombrer
dans l’échec tout un système. À quoi doit servir l’histoire? Hegel a raison: « il n’y a pas de leçons de l’Histoire
pour les hommes », les hommes ne savent tirer des leçons de
l’Histoire. On a l’impression que le gouvernement n’a pas tiré tous les
enseignements de la crise de l’année d’avant l’alternance de l’alternance! On
oublie très vite. Ce n’est pas avec des menaces et des pratiques dignes de
casernes militaires que les enseignants et les étudiants céderont par rapport à
leurs droits et leur dignité. Les enseignants sont de dignes fils du pays, des
gens diplômés, avertis et patriotiques et on ne peut pas faire le Sénégal dans
le mépris total des étudiants.
Iba FALL
Professeur de philosophie
Écrivain-essayiste
Doctorant ED. ETHOS/UCAD
Ancien président de la
SECUD-AEEMS
Adhame_fall@yahoo.fr
[1] Selon l’éminent professeur Abdou Kader NDOYE –chargé de la réforme
universitaire-, dans le système (international) LMD, on doit avoir « 1
professeur pour chaque 19 étudiant » (cf. Journal, l’étudiant musulman,
2005). Or, à l’UCAD, pour une population estudiantine « estimée » à
–approximativement- 95 mille étudiants- [rappel: la capacité d’accueil initiale
et prévue était de l’ordre de 6OOO étudiants], on ne compte pas 2000 enseignants,
sans oublier que la majorité ce sont des vacataires démotivés…Je vous laisse
faire le calcul par rapport à la norme mondiale LMD.
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