lundi 18 avril 2016

CRISE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR: Le Recteur fait le procès de l’Ucad

La crise du Système éducatif est très complexe et profonde. Pour trouver des solutions à ce problème qui n’a que trop duré, le Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar estime que le contenu des enseignements dans nos universités est depuis longtemps dépassé, d’où la nécessité des réformes.

Professeur Ibrahima Thioub

   ‘’Apprendre en travaillant’’, c’est la vision qu’a le Recteur de l’Ucad, de son institution. Animant une conférence sur le thème ‘’vision et défis de l’Ucad’’, le professeur Ibrahima Thioub a fait un diagnostic sans complaisance de l’Université. Ce qu’on retient de cette rencontre organisée par la Coordination des étudiants catholiques de Dakar, à l’église Saint Dominique, c’est qu’une réforme du système éducatif en général et l’université en particulier s’impose. Ainsi le recteur Thioub a touché à tous les maux de son établissement. Selon lui, malgré la multiplication des collèges et lycées de proximité, l’Ucad continue de procurer un enseignement classique. La prolifération de ces établissements scolaires n’a pas été suivie par une formation d’un personnel enseignant de qualité. Ce qui a comme conséquence une baisse drastique du niveau des bacheliers qui arrivent à l’université.
Un autre problème soulevé par le conférencier est le contenu des cours qu’on dispense dans nos universités. Il est pratiquement en déphasage avec les besoins du marché. Il estime qu’aujourd’hui, l’enseignement doit répondre à des questions concrètes et non théoriques. ‘’On enseigne comme si tous les bacheliers devaient aller jusqu’à soutenir une thèse de doctorat. Nous continuons à rassembler des milliers d’étudiants dans des amphis carrelés sans jamais mettre la main à la pâte. Il faut allier formation théorique et pratique’’, a dit l’historien. Convaincu que l’université doit aider à régler des problèmes concrets qui se pose à la société, il rassure que les réformes entreprises depuis quelques années vont dans ce sens. Il pense que seule la professionnalisation de la formation à l’université avec de bons chercheurs peut résoudre les nombreux problèmes dont souffre l’Ucad.
‘’Le taux de réussite au premier et second cycle tourne autour de 30%. Entre 60 et 70% des bacheliers entrent et sortent de l’université sans aucune qualification, ni diplôme. Il ne faut pas dire que le niveau de nos bacheliers est faible et qu’ils doivent échouer, mais leur chercher une formation adéquate, adaptée, à courte durée, leur permettant de travailler’’, a-t-il rappelé pour souligner l’état préoccupant de l’Ucad.
                                                     ‘’Haro sur le xar màtt’’
Dans un contexte de crise du système éducatif, de l’élémentaire à l’université, Ibrahima Thioub estime que les causes sont nombreuses et profondes. Selon lui, tout est parti avec l’élimination des écoles normales supérieures qui formaient des instituteurs d’excellent niveau et les ajustements structurels qui ont en drainé des recrutements clientélistes et d’enseignants non formés. Ce manque de formation continue jusqu’à présent dans les établissements d’enseignement supérieur.
Il estime que ceux qui enseignent dans le supérieur doivent être formés au même titre que ceux qui interviennent au niveau scolaire. Il a aussi déploré ce qu’il appelle le manque d’effectivité des enseignements. ‘’Il y a beaucoup d’enseignants qui sont coupés entre le privé et le public à travers le fameux ‘’xar màtt‘’, ce qui ne contribue pas à l’amélioration de la situation’’, dénonce le Pr Thioub. Dans cette liste non exhaustive des maux de l’Ucad et l’enseignement en général, les syndicats jouent un rôle capital. Selon l’enseignant, la multiplication des syndicats et la banalisation de la grève a fini de mettre au chaos le système éducatif à tous les niveaux. Il pense que la grève doit être une bombe atomique des enseignants. Autrement dit, elle (la grève) doit être utilisée en dernier recours.
 Malgré ces nombreuses difficultés, le Recteur a invité les étudiants à garder la confiance envers l’Ucad qui est la première université francophone au sud du Sahara. Il y a plusieurs projets pour renverser la situation actuelle. Il a conclu son propos en s’adressant aux étudiants en ces termes : ‘’Soyez fiers de votre université car elle est la seule au monde qui a formé 4 chefs d’Etat et qui ont exercé en même temps le pouvoir (Michel Kafando, Macky Sall, Thomas Yayi Boni et Ibrahima Boubacar Keïta).          
                                                                                                                  Abourahim Barry 

mardi 12 avril 2016

CARTE POSTALE: Djilor dévoile ses mystères

Djilor, localité mythique dans le Sine, et véritable lieu de naissance de Senghor, exhale le parfum envoûtant du royaume d’enfance. Reportage.

Arrivé à Ndiosmone sur la Nationale 1, le visiteur prend la route à droite. Elle mène vers un endroit assez particulier. Le ‘‘royaume d’enfance’’ du premier président du Sénégal indépendant. Sous un soleil de plomb, le bus parcourt la « savane ». Au milieu d’un paysage jaunâtre, symbole de la saison sèche, on croise des troupeaux de ruminants par endroits à la recherche de pâturages.
Dans ce milieu quasi-désertique, les plantations d’anacarde et de manguiers surgissent comme des oasis. Après le long et difficile voyage, voilà que Djilor se découvre. Un grand village perdu au milieu de l’ancien royaume du Sine. Des palissades en tiges de mil et les cases en paille contrastent avec les bâtiments en dur. Ici, la modernité côtoie la tradition avec notamment l’accès des populations à l’eau et l’électricité.
Situé dans la région de Fatick au bord du bras de mer du delta du Sine Saloum, Djilor offre un paysage magnifique. Les principales activités de cette localité, comme toute la zone du reste, sont l’agriculture, la pêche et le tourisme.
Contrairement à beaucoup de zones touristiques, Djilor connaît un léger mieux, sauf pour les petits exploitants. Selon les acteurs sur place, les petits hôtels et les campements rencontrent quelques difficultés « Ça va mieux par rapport à l’année dernière. Mais on n’est pas toujours sorti d’affaire.  Je pense que le contexte n’est pas bon pour les hôteliers. On sent qu’il n’y a pas une politique favorable pour les hôteliers ou les touristes parce que, pour les mêmes prix, les gens vont au Maroc. Et là-bas, ils ont une qualité de service trois fois meilleure que chez nous », explique Mme Bèye gérante d’un campement. Selon elle, les grands établissements par contre ne se plaignent pas.  
Une visite de Djilor et de ses environs permet de mieux comprendre cette localité riche en histoire et symboles. Avant de commencer, notre guide précise que Djilor est le lieu de naissance du plus célèbre des poètes sénégalais, Léopold Sédar Senghor, contrairement à l’histoire officielle. « Senghor est né ici le 15 août 1906, mais il a été déclaré à Joal, lieu où son père avait un domicile », précise Djibril Faye.  Quand il raconte l’histoire du village natal du poète, on a l’impression d’écouter un conteur émerveillé. Ici, l’animisme côtoie le christianisme et l’islam. Selon notre guide, la majeure partie des croyants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, restent profondément ancrés dans leur croyances et pratiques animistes. « On trouve des cimetières et familles mixtes de catholiques et musulmans », lance Djibril.
A une heure de pirogue, nous voilà au village de Simal que chantait le fils de Diogoye. « Sur un rônier de Katamaguej’entends déjà les pilons de Simal », disait-il.  En visitant cette zone du Sine, on découvre combien l’ombre du Président-poète continue de peser sur l’histoire de toute une région. Pour rendre hommage à l’illustre fils du terroir, des stèles sont érigées en sa mémoire. Sur chacune d’elles, l’on peut lire des extraits de ses poèmes qui parlent de ce lieu qui l’a tant inspiré.
« Joal, je me rappelle »
 Au bord de l’étendue d’eau à perte de vue, se trouve une petite forêt très dense. Au milieu de ce bois sacré, entre le « puits des circoncis » où se fait l’initiation des jeunes Serères et les génies protecteurs que sont les géants fromagers, se trouve un sanctuaire islamique. À 5 mètres du bras de mer, un puits qui contient de l’eau douce et qui n’a « jamais tari depuis qu’El Hadji Oumar Foutiyou Tall a bu de son eau ». C’est lors de son passage ici qu’il a converti beaucoup d’animistes. Sa famille et ses disciples viennent encore y effectuer le pèlerinage. « Il y a des arbres protecteurs, même s’ils tombent personne, n’ose les toucher. « A Djilor, un serpent ne tue jamais une personne, et c’est connu de tout le monde », explique Djibril.
Pour clôturer notre visite, nous voilà à la maison natale de Senghor. Transformée en musée, elle garde son architecture initiale, malgré les nombreuses réfections. «Les bâtiments construits à l’époque par son père témoignent de sa descendance bourgeoise. Le fils de Diogoye Basile Senghor et de Gnilane Bakhoum est né ici et non à Joal », explique M. Diouf. Diogoye fut un riche commerçant moderne qui fréquentait les colons. A cause de ce statut dont il usait et abusait, il faisait peur à Djilor. Marié à 5 femmes, il avait 41 enfants. Dans son poème intitulé « Le retour de l’enfant prodigue », Senghor écrivait : « Vive la faillite du commerçant. (…) Je brûle le séco, la pyramide d’arachides dominant le pays. » Ces vers, selon le guide en éco-tourisme, sont la preuve de sa révolte contre les pratiques de son père qui abusait de sa puissance. Après cette visite au royaume senghorien, on peut dire que ce n’est pas par hasard que l’homme de culture est devenu poète. Le célèbre vers : « Joal, je me rappelle » aurait pu être, Djiolor je me rappelle. »  

                                                                                                                  Abdourahim Barry