mercredi 10 février 2016

CARICATURE DE SERIGNE TOUBA PAR JEUNE AFRIQUE: Les mourides exigent l’interdiction du magazine au Sénégal

Après Touba le vendredi dernier, la communauté mouride de Dakar est descendue dans la rue ce samedi pour dénoncer la caricature de leur Cheikh. Dans une manifestation gigantesque, les talibés de Bamba réaffirment leur attachement au fondateur du mouridisme et déclarent Jeune Afrique persona non grata.

Un pick-up rempli de haut-parleurs devant le portail de la mosquée Masalikoul Djinane. Un homme tient le micro. Il crie ‘’Dieureudieufé’’ (merci Ndlr) Serigne Touba. La foule répète en pointant les doigts vers le ciel. En un temps record, la route qui relie le lieu de culte à la place de l’Obélisque est noire de monde. Hommes, femmes, jeunes et surtout les talibés de Bamba ont répondu massivement à l’appel à manifester lancé par leur guide religieux. Et contre toute attente, l’on n’entend pas de slogans anti Jeune Afrique, le journal qui a caricaturé le fondateur du mouridisme occasionnant l’indignation de cette communauté. Les disciples de Khadimoul Rassoul ont plutôt  choisi de répondre aux attaques par le mépris en réaffirmant leur attachement à leur marabout.
Ils brandissent ses portraits et ceux de ses fils et récitent les ‘’khassaides’’  (textes écrits par leur guide). On pouvait lire sur une pancarte : ‘’Je respire Serigne Touba’’. Sur une autre : ‘’J’appartiens à Serigne Touba’’. Ou encore ‘’Touche pas à Bamba’’.
15 heures et demie, les haut-parleurs donnent l’ordre de rejoindre la place de l’Obélisque. Des dizaines de scooters ouvrent la voie dans un concert de klaxons et de chansons religieuses. Une marée humaine envahit la route pour rejoindre la place mythique de Colobane. Des jeunes galvanisés et déterminés à défendre leur Cheikh distribuent des sachets d’eau gratuitement sous un soleil de plomb. D’autres passent derrière pour les ramasser après que leur contenu a été vidé. Les manifestants montrent une discipline exemplaire sous le regard attentif des forces de l’ordre. Ce comportement n’est pas une surprise car ‘’mouride dày dégg ndiggël’’ (le mouride respecte la consigne de son marabout Ndlr). Dans cette marche de protestation, la consigne du Khalife Général des mourides était claire : ‘’Il faut marcher dans la discipline sans rien casser.’’ ‘’Jeune Afrique a touché à  notre cohésion sociale. C’est une bêtise humaine qui n’apporte rien au débat. Il y a des choses qui échappent à la liberté des gens. En France, on ne peut pas remettre en cause l’holocauste’’, déclare Moussa Tine l’ancien président de l’Entente Cadak-car. Comme lui, plusieurs hommes politiques et intellectuels étaient présents.
Une fois sur le lieu de destination, la place est déjà remplie de monde. Malgré les milliers de personnes présentes, les gens continuent de venir de tous les horizons. Les fervents mourides alternent slogans à la gloire de leur guide spirituel et la profession de foi musulmane. ‘’Dans ce monde, il y a deux choses : le bien et le mal. Mais aujourd’hui, nous sommes en face des forces du mal ‘’, lance un vieux. Tout de noir vêtu, chapelet à la main et une écharpe attachée au niveau de la hanche, il affirme que lui et ses condisciples n’ont que Serigne Touba. Assise à même le sol, un foulard sur la tête et portant des lunettes transparentes, Sokhna Fatou Ndiaye de renchérir : ‘’Je suis là parce que je suis une talibé. Ces caricatures me font mal. Des gens de bien ne feraient jamais des choses pareilles’’. Un homme brandit une pancarte sur laquelle on pouvait lire : ‘’Expulsion définitive de Jeune Afrique du Sénégal.’’
Représentant du Khalife général Cheikh Sidy Mactar Mbacké à Dakar, Mbackyou Faye l’a clairement dit. Dans une déclaration devant la foule, il demande aux autorités d’interdire l’entrée et la vente du magazine au Sénégal. Selon lui, liberté de presse rime avec paix. Elle ne signifie pas dire tout ce que l’on veut. ‘’Toute personne qui veut ternir l’image de Serigne Touba passera sur nos cadavres.  Nous lançons un appel aux autorités de ce pays qui ont bien réagi face à cette offense de Jeune Afrique, d’interdire la vente de ce journal dans notre pays. Nous ne voulons plus qu’il entre au Sénégal. Les excuses sont trop faciles. Ils nous insultent ensuite ils s’excusent ‘’, lance-t-il à la foule surexcitée. Sur un ton menaçant, il ajoute : ‘’Nous condamnons jusqu’à la dernière énergie cette publication. Nous manifestons notre indignation. Enfin, cette mobilisation est un avertissement à quiconque s’attaquera à notre Cheikh.’’
Mbaye Ndiaye : ‘’JA est un journal satanique et mécréant’’
Les hommes politiques aussi ont répondu présent. Qu’ils soient du côté du pouvoir ou de l’opposition, ils sont unanimes sur la question : ‘’Jeune Afrique a bafoué l’une de nos références nationales’’. Le ministre conseiller Mbaye Ndiaye, sur un ton agressif, dénonce ce qu’il qualifie d’agression. ‘’Nous nous sentons agressés par ce journal satanique. Ce n’est pas une affaire de l’Etat. Chaque sénégalais doit s’interdire lui-même Jeune Afrique car c’est un journal mécréant’’, déclare l’ancien ministre de l’Intérieur. Pour lui, il fallait s’y attendre. ‘’Après les agressions contre le Prophète PSL, c’est Serigne Touba qui devait suivre car il est l’un de ses plus fidèles compagnons même s’ils n’ont pas vécu la même époque.’’
Beaucoup de manifestants estiment que c’est la paix dans le monde qui est menacée. Pour sa part, le député à l’Assemblée nationale, Imam Mbaye Niang, soutient : ‘’Il faut qu’on respecte les gens pour que l’humanité vive en paix. Cheikh Ahmadou Bamba ne mérite pas ça. C’est une personne qui a passé toute sa vie à construire des mosquées et à enseigner le Coran.’’
Après la lecture de la déclaration de Mbackyou Faye, les disciples mourides retournent à la Mosquée Masalikoune Djinane pour une séance de prière. Et un dernier message à l’endroit de Jeune Afrique : ‘‘Plus jamais ça !’’ 
                                                                                                            ABDOURAHIM BARRY